Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi nos comportements peuvent paraître irrationnels alors que nous vivons dans un monde où nous avons tout rationalisé ?
Guillaume Attias est expert en neurosciences et sciences cognitives appliquées aux processus décisionnels et fondateur de BMO – Brain Modus Operandi. Son livre L'influence cachée du cerveau humain. Décrypter nos comportements grâce aux neurosciences nous plonge dans le monde fabuleux de notre cerveau, à la découverte de nos mécanismes de décisions et de nos tensions qui sont à l’origine de tous nos choix.
De l’éducation à la gestion des conflits, en passant par la séduction et le monde du travail, Guillaume Attias nous explique pourquoi ces situations défient toute rationalité et surtout les stratégies à mettre en œuvre pour mieux les comprendre et y faire face.
Quel est votre métier ?
Mon métier consiste depuis plus de 20 ans à comprendre les comportements humains à travers le mode de fonctionnement du cerveau humain. Plus précisément comprendre ce qu’il se passe entre le moment où nous percevons des informations de nos environnements et le moment où nous déclenchons des réactions d’adaptation. Grâce à cela nous pouvons dépasser toutes nos approches empiriques dans des domaines aussi variés que la vente, le management, la négociation, la gestion de conflits, l’apprentissage, l’engagement, le développement personnel, la gestion du stress, etc. Le point très singulier de cette approche est d’avoir, depuis le début, travaillé dans la transdisciplinarité des sciences cognitives et des neurosciences. Aujourd’hui, l’approche de BMO fait partie des références nationales et internationales dans ce domaine.
Vous nous apprenez dans le livre que, parmi les décisions que nous prenons chaque jour, nous n’avons conscience que de 0,26% d’entre elles. Comment l'expliquer ?
Ce que nous appelons une décision est en fait une stratégie d’adaptation à notre environnement déclenchée par notre cerveau. Or nous en réalisons environ 35 000 par jour. Si nous devions avoir conscience de toutes ces décisions, notre cerveau devrait faire environ 26 fois son volume actuel ! Dans ces conditions, nous ne pourrions pas lui fournir quotidiennement l’énergie nécessaire à son fonctionnement et notre espèce aurait disparu depuis bien longtemps. Donc notre cerveau décide de la stratégie qu’il va adopter en environ 230 millisecondes dans 100 % des cas, bien avant qu’on en ait conscience. C’est ce qu’on appelle le premier temps décisionnel. Ensuite, il ne portera que 0,26% de ces décisions à notre conscience, en fonction de celles qui lui semblent être les plus importantes et que nous rationnalisons pour leur donner du sens. Cette illusion rationalisée constitue le deuxième temps décisionnel. Mais ne nous y trompons pas, c’est bien notre cerveau qui a décidé “avant nous” !
Vous écrivez dans le livre "On ne nait pas humain, on le devient". Qu'entendez-vous par là ?
Comme nous venons de le dire, notre cerveau décide avant que l’on puisse en avoir conscience, mais cela ne signifie pas que nous ne pouvons rien y faire et que la totalité de nos actes ne sont déterminés que par les lois de la neurobiologie. Prenons l’exemple d’un carré de chocolat : quand votre cerveau le perçoit, il lui faut moins de 140 millisecondes pour décider de croquer dedans. Ensuite, cette décision est portée à notre conscience et ce n’est qu'à ce moment-là que nous avons l’impression de décider de le manger ou pas. Pourtant, si vous vous dites “Non ce n’est pas raisonnable !”, à qui dites-vous non ? En fait, vous êtes en train de dire non à votre premier temps décisionnel, c’est à dire à votre cerveau ! Cette capacité à pouvoir aller à l’encontre de notre cerveau s’acquiert avec le temps, en renforçant certaines voies neuronales, dites “d’inhibition”. Cette faculté nous permet d’accéder à un champ de liberté, de libre arbitre, et de décider qui on a envie d’être au-delà des mécanismes primaires.
Qu'est-ce que la méthode BMO (Brain Modus Operandi) ?
L’approche de BMO consiste à agir directement dans le premier temps décisionnel, celui qui échappe à notre conscience et qui est pourtant véritablement à l’origine de tous nos comportements depuis la nuit des temps. Et c’est justement parce qu’il échappe à notre conscience que toutes les approches empiriques développées jusqu'à ce jour ont tant de mal à résoudre les difficultés liées aux comportements humains. On arrive depuis 50 ans à envoyer des fusées sur la lune, mais toujours pas à résoudre les conflits avec nos voisins, voire avec nous-même !
En quoi votre méthode peut-elle nous aider à influencer concrètement sur notre quotidien ?
Avant même de chercher à influencer quoi que ce soit, il faut commencer par comprendre. Comment fonctionne le comportement humain ? Nous avons eu la prétention de croire que nous étions des acteurs socio-économiques rationnels, alors même que nous constatons chaque jour que ce n’est pas le cas ! Ce n’est jamais le produit qui offre le meilleur rapport qualité/prix qui remporte un marché. Des millions de personnes ont tout pour être heureuses et ne comprennent pas pourquoi elles sont prises dans un sentiment de perte de sens, de motivation, voire de dépression. On connaît même des fumeurs qui mangent bio !
Avant de chercher à influencer, il faut déjà comprendre la logique qui se cache derrière cette irrationalité apparente. Une fois que cette logique est acquise, alors la capacité d’influence de soi et des autres devient une évidence, non plus en cherchant à argumenter par la raison, mais en passant par la logique du premier temps décisionnel, celle du cerveau humain.
Pourquoi des personnes arrivent à influencer et d'autres non ?
Certaines personnes arrivent intuitivement à agir plus efficacement sur le premier temps décisionnel que d’autres. Ce n’est pas pour autant qu’elles comprennent véritablement comment elles le font. J’ai de très nombreux cas de professionnels de la vente ou de la négociation, ou des managers reconnus internationalement, qui après être sorti de nos formations, viennent nous remercier en nous disant qu’ils comprennent enfin pourquoi ils sont si efficaces et comment ils vont pouvoir maintenant aller encore plus loin.
Auriez-vous un conseil pour aider à nous motiver ?
J’ai deux conseils très simples pour cela :
D’abord, si vous ne trouvez pas la motivation à faire quelque chose, demandez-vous si ces actions sont représentatives de la personne que vous avez vraiment envie d’être. “ On est ce que l’on fait et on fait ce que l’on est”. Si ce que vous devez faire ne vous permet pas d’être qui vous souhaitez être, il va peut-être falloir réajuster l’action pour éviter la dissonance cognitive qui bloque la motivation.
Ensuite, quand la motivation manque, c’est que bien souvent on focalise sur un objectif bien trop complexe et/ou éloigné dans le temps par rapport au bénéfice court terme que l’on peut en retirer. Quand on fait une action, il vaut mieux diriger son attention sur la qualité de l’action du moment que sur le résultat que l’on attend. Et surtout, il faut faire les choses le plus simplement possible ! Ne pas chercher à tout savoir, à tout maîtriser avant d’avoir fait le premier pas. Le monde est d’une complexité infinie qui se visite un pas après l’autre ! Un livre se lit un mot après l’autre ! Faîtes simplement confiance à votre prochain pas.
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