Dès le plus jeune âge, il est indispensable que les enfants puissent agir avec d’autres et développer des habiletés sociales. La classe coopérative constitue un formidable levier pour les apprentissages, dans l'enseignement primaire tout comme dans le secondaire. Elle nécessite de se former en tant qu'enseignant mais aussi de former les élèves à la coopération.
Enseignants, chercheurs et formateurs, Sylvain Connac, Guillaume Caron et Laurent Reynaud sont spécialistes des pédagogies coopératives. Ils ont écrit plusieurs ouvrages de référence sur le sujet, notamment Apprendre avec les pédagogies coopératives et La coopération, ça s'apprend (S. Connac); Osez les pédagogies coopératives au collège et au lycée (G. Caron) ; et Faire collectif pour apprendre (L. Reynaud).
Ils ont répondu collectivement à nos questions sur la coopération. Ils font un état des lieux et une mise en perspective utiles pour tous les enseignants qui ont pour projet de mettre en place la coopération dans leur classe.
Pouvez-vous nous rappeler les principes des pédagogies coopératives ?
Les pédagogies de la coopération (ou la coopération entre élèves) regroupent un ensemble varié de pratiques et dispositifs qui tentent d’aider des élèves à apprendre, avec, par et pour d’autres. Elles s’appuient sur un héritage pédagogique vaste, de la pédagogie Freinet à la pédagogie institutionnelle, des coopératives scolaires aux classes puzzles, de la psychologie du développement à la lutte contre les inégalités scolaires en passant par les apports des sciences de l’éducation. Un comportement devient coopératif lorsqu’il y a l’intention d’une interaction sociale et l’atteinte d’un but individuel. À ne pas confondre avec une collaboration, qui correspond aussi à une interaction, mais pour la quête d’un but commun et par une division du travail.
Les pédagogies coopératives se déclinent en différentes modalités et correspondent à des formes différentes : le travail en groupe, l’aide et le tutorat, le travail en équipe, l’entraide, le travail en atelier, les conseils coopératifs, les marchés de connaissances, les jeux coopératifs… Chacune de ces formes s’organise selon des précautions spécifiques et répond à des objectifs pédagogiques particuliers. Par exemple, alors que le travail en groupe cherche à susciter le besoin d’apprendre par la confrontation des points de vue, le travail en équipe mobilise les compétences des élèves, sur un temps beaucoup plus long, la plupart du temps dans le cadre de réalisation de projets. C’est en ce sens que l’on parle d’une didactique de la coopération.
Pourquoi coopère-t-on si peu en classe ?
Nous pensons au contraire que les élèves coopèrent très souvent en classe. C’est le propre de l’être humain que de se tourner vers les autres lorsque les réalisations individuelles deviennent trop difficiles ou sont inaccessibles. Spontanément, les individus humains coopèrent face à une difficulté. La triche, par exemple, est une forme de coopération, avec d’autres ou pour d’autres. L’aide entre élèves existe dans toutes les classes, même quand elle n’est pas spécifiquement autorisée. L’individualisme est une stratégie d’existence qui s’apprend suite aux différents déboires que l’on peut rencontrer dans la relation à l’autre, et qui est parfois encouragée dans les sociétés néolibérales.
En revanche, c’est un fait que les élèves coopèrent rarement à l’initiative des enseignants. Principalement parce que ce sont des pratiques particulièrement risquées. Nous avons pu identifier quatre familles de dérives coopératives : lorsqu’il y a trop de bruit ou trop de déplacements en classe (et que cela gêne la concentration), lorsque les élèves se répartissent inégalement le travail (et que les meilleurs réalisent ce qui est cognitivement utile), lorsqu’il y a des appréhensions au conflit (et que les élèves évitent d’échanger sur leurs désaccords) et lorsque les élèves accordent plus d’importance à la coopération qu’à ce qu’il y a à apprendre à l’école. Pourtant, apprendre avec les autres est bien l’ambition portée par la scolarisation, à la différence du préceptorat.
Quels sont les apports pour les élèves ?
Les pratiques de coopération dépendent des dispositifs que l’on met en place, avec, en plus, la réserve des précautions d’utilisation. Autrement dit, il ne suffit pas de mettre quatre élèves autour d’une table pour qu’ils en retirent un bénéfice. C’est bien plus complexe. Toutefois, avec des enseignants formés aux pratiques de la coopération, les pédagogies mises en oeuvre dans les classes peuvent aider les élèves pour quatre principales raisons :
Il y a aussi des apports pour les enseignants. Par exemple, l’optimisation de la gestion du temps. Ne pas être la seule ressource que sollicite les élèves en cas de besoin permet de s’extirper de la posture du “garçon de café” qui s’épuise en passant de tables en tables, et de se focaliser davantage sur l’organisation de l’aide entre pairs. Au niveau du travail d’équipe entre enseignants, vouloir organiser la coopération entre élèves c’est aussi, assez naturellement, glisser vers la préoccupation de la coopération entre adultes. Cette considération permet sans doute d’appréhender le métier selon une dimension plus collective autour des questions de pédagogie.
Le ministère envisage de mettre en place des groupes de niveaux. En quoi faire coopérer tous les élèves permet la réussite de tous ?
Les groupes de niveaux sont présentés comme un moyen de faire face à l’hétérogénéité des élèves qui freinerait la progression des élèves en réussite et qui rendrait compliqué les conditions d’enseignement. Si nous partageons le constat de l’hétérogénéité, nous l’abordons selon un tout autre paradigme. Pour nous, elle n’est pas une contrainte à dissoudre mais plutôt une caractéristique inhérente à tout groupe humain qu’il nous faut utiliser. Cette ambition se concrétise en actes quand on organise la coopération en classe. Elle permet non seulement à tous les élèves de mieux progresser mais aussi d’apprendre à faire ensemble pour faire société. Regrouper ensemble les élèves en difficulté peut parfois apparaître comme une solution pour mieux les accompagner. Or cela finit par les desservir parce qu’ils ne sont jamais stimulés comme les autres et qu’ils finissent par se sentir stigmatisés. Par ailleurs, il est démontré par de nombreux travaux de recherche que dans une relation d’aide ce sont bien les élèves qui aident qui progresse le plus. C’est l’effet tuteur que nous rappelons dans nos ouvrages. Il est donc illusoire de penser que l’aide et l’entraide freinent les élèves en réussites, c’est tout l’inverse et c’est d’ailleurs une précaution à prendre quand on organise la coopération en s’assurant de la réciprocité de l’aide par tous les élèves.
La France est le dernier pays de l'OCDE en matière de coopération entre élèves, comment l'explique-t-on ?
Peut-être parce que beaucoup confondent coopération et collaboration. Partout dans le monde, les enseignants font collaborer leurs élèves. C’est même une intention éducative forte dans les systèmes éducatifs néolibéraux, l’école ayant pour fonction de préparer les élèves au monde du travail d’équipe. C’est tout le principe du courant nord-américain du cooperative learning au sein duquel il est important d’apprendre à coopérer. En ce sens, l’école ailleurs n’est pas meilleure que chez nous.
Toutefois, en raison du poids important que nous accordons en France aux savoirs à enseigner, cela induit une forme traditionnelle de la pédagogie, beaucoup influencée par les logiques transmissives et le cours dialogué. Autrement dit, c’est parce qu’il est demandé aux enseignants français d’être essentiellement des passeurs de culture que chacun reproduit ce qu’il a lui-même vécu. Le travail de groupe par exemple est très mal perçu parce que, bien qu’encouragé, il donne lieu à beaucoup de problèmes en classe, sous forme de désengagement de certains élèves, perte de temps et élévation du niveau sonore. Une formation alternative peut aider ces collègues à s’orienter vers du travail en groupe, qui ne dure généralement pas plus de 5 minutes et s'équilibre avec des temps individuels et collectifs. Nous présentons dans nos ouvrages des modalités concrètes pour organiser du travail en groupe en classe sur un temps court.
Pourquoi les enseignants sont-ils aussi peu formés aux compétences sociales et comportementales pourtant indispensables à la réussite scolaire ?
En France, nous avons collectivement fait le choix de savoirs culturels à transmettre aux jeunes. La coopération en fait peu partie. L’idée que le seul accès au savoir puisse permettre de s’émanciper est particulièrement ancrée sous l’influence de certains penseurs des Lumières.
La coopération n’est pas un objectif éducatif central. Elle a plutôt un statut de moyen, pour aider les élèves à apprendre de manières intenses et durables. Ce statut de moyen nous semble intéressant à défendre parce qu’enseigner des compétences sociales qui ne reposeraient pas sur un socle d’expériences quotidiennes risquerait de les associer à des exercices scolaires à réussir. Or, en donnant la possibilité aux élèves de travailler en cours par de la coopération avec d’autres élèves, par un travail individuel ou avec l’enseignant, les invite à mobiliser la coopération quand ils en ont besoin et ainsi, de manière seconde, à développer des habiletés coopératives. Il vaut mieux mille fois que des élèves apprennent sans coopérer plutôt que des élèves coopèrent sans rien apprendre.
Un autre souci est celui du faible nombre de formatrices et formateurs formés aux pratiques coopératives, de la même manière que trop peu de chercheurs investiguent ces objets d’études.
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